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JFN 2022 : Alimentation et allergie de l’enfant

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Publié le 19/12/2022
Publié le 19/12/2022
Temps de lecture : 10 minutes
JFN 2022 : Alimentation et allergie de l’enfant
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Comment traiter les pathologies allergiques ou prévenir leur apparition chez l’enfant grâce à l’alimentation ? Deux conférenciers des JFN 2022 tentent de répondre à cette question par la présentation de l’immunothérapie et celle des liens entre le risque allergique et la diversification alimentaire.

Allergies alimentaires et immunothérapie

L’allergie alimentaire est une réponse anormale du système immunitaire, spécifique et reproductible, après exposition à un aliment donné. Elle est à distinguer de l’intolérance alimentaire qui est une hypersensibilité non immunologique (cf. figure 1). La prévalence des allergies alimentaires est en augmentation chez l’enfant sur la dernière décennie ; elle atteint 4 % chez les enfants de 4 ans en France. Dre Martine Morisset (CHU d’Angers, Angers) présente la pratique de l’immunothérapie orale, utilisée pour traiter les allergies alimentaires.

Elle met tout d’abord en avant le fait que toutes les allergies alimentaires ne guérissent pas naturellement. Pour les allergies aux protéines du lait de vache et à l’œuf, 25 % des enfants ne sont pas guéris à l’âge de 7 ans et 5 ans respectivement ; pour l’allergie à l’arachide, on constate seulement 20 % de guérison naturelle à l’âge de 5 ans.

Martine Morisset insiste sur les inconvénients majeurs de l’éviction alimentaire, habituellement utilisée en cas d’allergie :

  • risque d’exposition accidentelle à l’allergène et donc de choc anaphylactique ;
  • risque de carences (surtout en cas d’allergies multiples) ;
  • altération de la qualité de vie ;
  • et risque d’aggravation avec le temps : réactions plus sévères et/ou avec des doses plus faibles.

Le principe de l’immunothérapie est d’administrer de façon répétée des doses croissantes de l’allergène, à intervalle régulier, pour moduler la réponse immunitaire et augmenter le seuil de réactivité à l’ingestion de l’aliment. En pratique, les immunothérapies au lait de vache et à l’œuf sont souvent mises en place avec, pour commencer, des aliments du commerce cuits à haute température, comme des biscuits, pour lesquels la teneur en l’allergène est précisément connue.

Les méta-analyses montrent une accélération de la guérison chez la majorité des patients grâce à l’immunothérapie, comparativement aux enfants maintenus en éviction. Martine Morisset signale cependant que, pour les personnes présentant les taux d’IgE les plus élevés, l’immunothérapie ne supprime pas le risque de choc anaphylactique. Pour ces patients à haut risque, il est parfois possible de proposer des immunothérapies sous biothérapie (traitement utilisant des médicaments biologiques ou biotechnologiques).

Dans le cas de l’allergie à l’arachide, l’immunothérapie est un succès (désensibilisation réussie) dans 62 à 100 % des cas, selon les études. Une contrainte forte est l’obligation de consommer tous les jours l’allergène ; le risque de choc anaphylactique est en effet très élevé en cas d’arrêt de l’immunothérapie. Martine Morisset met en lumière la principale difficulté pratique rencontrée sur le terrain : l’abandon de la thérapie, le plus souvent en raison du stress, du dégoût, de la lassitude ou encore de gênes abdominales. Il apparaît en effet que, chez 4 % des patients, l’apparition de troubles digestifs sévères motive l’arrêt de l’immunothérapie.

Pour conclure, Martine Morisset insiste sur l’importance de démarrer les immunothérapies le plus précocement possible. Elle recommande une immunothérapie préventive chez les nourrissons à partir de 4-5 mois dans les groupes à risque (atopie). En cas d’allergie alimentaire confirmée, la période d’éviction devrait être la plus courte possible avant le démarrage de l’immunothérapie alimentaire. Le choix de la forme et de la dose proposées au patient, ainsi que la qualité de l’encadrement médical sont des facteurs importants de réussite de l’immunothérapie sur le long terme.

Diversification alimentaire et risque allergique

Dre Blandine de Lauzon-Guillain (INSERM, Paris) confirme, elle aussi, la forte augmentation des pathologies allergiques et respiratoires chez l’enfant. Parmi les facteurs de risque non modifiables de ces pathologies, elle cite l’atopie familiale au 1er degré, la préexistence d’une pathologie allergique ou encore le fait d’être de sexe masculin. Le tabagisme passif, la domiciliation en milieu urbain et l’alimentation du nourrisson sont, quant à eux, des facteurs de risque modifiables. La chercheuse présente une étude examinant le lien entre les pratiques de diversification alimentaire et la survenue des pathologies allergiques avant l’âge de 5,5 ans.

Les données de la cohorte ELFE (Etude Longitudinale Française depuis l’Enfance), constituée de plus de 18 000 enfants nés en 2011, ont été utilisées. Les consommations alimentaires ont été enregistrées mensuellement entre les âges de 3 et 10 mois ; les pathologies allergiques et respiratoires déclarées entre les âges de 1 an et 5,5 ans ont été prises en compte (allergies alimentaires, eczéma, sifflements, asthme et rhinoconjonctivite allergique).

Les résultats montrent que :

  • les enfants pour lesquels la diversification alimentaire a commencé après l’âge de 6 mois présentent un risque plus élevé de déclarer une allergie alimentaire avant l’âge de 5,5 ans (risque multiplié par 1,33 [1,01 ; 1,75]) ;
  • ceux pour lesquels le score de diversité alimentaire à l’âge de 10 mois est faible (moins de 3 groupes alimentaires introduits) ou intermédiaire (entre 3 et 5 groupes introduits) présentent un risque plus élevé de rhinoconjonctivite (respectivement 1,42 [1,02 ; 2,00] et 1,14 [1,02 ; 1,27]) ;
  • les enfants pour lesquels 2 allergènes majeurs (parmi l’œuf, le lait, le blé et le poisson) n’étaient pas introduits à 10 mois ont un risque plus élevé de développer une allergie alimentaire (2,25 [1,63 ; 3,10]) et une rhinoconjonctivite (1,20 [1,00 ; 1,45]).
  • enfin, les enfants pour lesquels 1 allergène majeur n’était pas introduit à l’âge de 10 mois présentent un risque augmenté de développer de l’asthme (1,25 [1,10 ; 1,42]).

Blandine de Lauzon-Guillain explique que, pour ces résultats, le biais de causalité inverse ne peut pas être exclu. L’apparition de la pathologie peut être consécutive aux choix de pratiques de diversification, mais le raisonnement peut aussi être inversé : c’est l’apparition de la pathologie qui pourrait être à l’origine, par exemple, d’une faible diversité alimentaire à 10 mois. Elle insiste cependant sur le fait que, même en supprimant de l’analyse les enfants ayant déclaré une allergie alimentaire avant l’âge de 2 ans, le fait de ne pas avoir introduit plus de 2 allergènes majeurs à 10 mois reste un facteur de risque fortement corrélé au développement d’une allergie alimentaire avant l’âge de 5,5 ans.

En conclusion, Blandine de Lauzon-Guillain met en lumière le fait que ces résultats sont en accord avec la dernière mise à jour des recommandations françaises concernant la diversification alimentaire, à savoir qu’entre 4 et 6 mois, un enfant peut commencer à découvrir toutes les familles d’aliments, y compris ceux qui peuvent provoquer une allergie.