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ICN 2025 – La matrice alimentaire : au-delà des nutriments, un rôle clé pour la santé

Brèves scientifiques
Publié le 20/10/2025
Publié le 20/10/2025
Temps de lecture : 9 minutes
CreditPhoto: New Africa

Dans le cadre de l’International Congress of Nutrition (ICN) 2025-Paris, l’importance de l’effet matrice des aliments sur la santé a été abordé par différents chercheurs dans différentes sessions en prenant, en particulier, l’exemple de la matrice laitière.

Emma Feeney (Dublin, Irlande) revient tout d’abord sur ce qu’est la matrice d’un aliment. Ainsi la matrice d’un aliment désigne la structure physique et chimique d’un aliment au sein de laquelle ses différents composants (macronutriments, vitamines, minéraux, fibres, eau, composés bioactifs) sont organisés et interagissent entre eux. Ceci va avoir ultimement un impact sur la digestibilité des nutriments (via par exemple la vitesse de digestion), sur leur absorption et leur biodisponibilité, modulant ainsi leur devenir métabolique et donc leur effet sur la santé. C’est ce que l’on appelle l’effet matrice d’un aliment.

La chercheuse met donc en avant que, lorsque l’on étudie les impacts des aliments sur la santé, il est important de prendre en compte la matrice alimentaire plutôt que d’avoir une approche réductionniste, approche ancienne qui se limitait à considérer de façon isolée les nutriments des aliments.

Elle illustre cet « effet matrice » grâce à plusieurs exemples :

  • la quantité de calories issues d’amandes absorbées par l’organisme est dépendante de la forme sous laquelle l’amande va être consommée (entière, broyée ou en purée) ou encore du temps de mastication. Si la matrice de l’amande est intacte ou si elle est dégradée, la digestion protéique et donc l’allergénicité de l’aliment se trouvent, elles aussi, potentiellement modifiées ;
  • une étude a aussi mis en évidence le fait que la biodisponibilité des caroténoïdes est différente dans des carottes consommées sous différentes formes : si elle n’est que de 3 % dans des carottes crues intactes, elle s’élève à plus de 20 % lorsque la carotte est réduite en purée et même à près de 40 % lorsque la purée est cuite dans de l’huile ;
  • enfin, une autre étude a comparé les réponses glycémiques de volontaires suite à l’ingestion de la même quantité de glucides issus de la consommation de riz complet ou de pois chiches avec un temps de mastication plus ou moins long. La figure 1 montre des réponses glycémiques très différentes en fonction de la matrice contenant cette même quantité glucidique. Cela montre qu’à composition égale en glucides, mais avec des matrices différentes, deux aliments n’ont pas le même impact sur l’organisme.

Marie-Caroline Michalski (Lyon, France) met en lumière le fait que l’approche réductionniste a parfois mené à ne plus considérer un aliment qu’à travers une seule de ses composantes. La matière grasse laitière a par exemple souvent été réduite à une seule de ses caractéristiques, sa richesse en acides gras saturés, sans prendre en compte la complexité de l’ensemble de la matrice laitière. Cette approche a conduit à ce que de nombreux guides nutritionnels à travers le monde recommandent principalement la consommation de produits laitiers allégés en graisses.

Or, la chercheuse met en avant les résultats de plusieurs études épidémiologiques, essais contrôlés randomisés et méta-analyses récentes montrant les liens existants entre la consommation de produits laitiers, en particulier entiers, et la santé cardiovasculaire :

  • de façon consistante, la consommation de produits laitiers est associée à une diminution du risque de diabète de type 2 (DT2). En particulier, la concentration sanguine en biomarqueurs de la consommation de graisse laitière est inversement associée au DT2, tout comme la consommation de yaourts au lait entier ;
  • la consommation de produits laitiers entiers apparaît aussi comme ayant un effet neutre ou bénéfique vis-à-vis du risque cardiovasculaire et du poids corporel. En particulier, comparativement à celle de produits laitiers allégés, elle n’est pas associée à une augmentation de la concentration en LDL-cholestérol. Les consommateurs de produits laitiers entiers présentent même des concentrations en HDL-cholestérol plus élevées dans une méta-analyse récente d’essais contrôlés randomisés.

Pour expliquer ces liens entre la consommation de produits laitiers, en particulier entiers, et la santé cardiovasculaire, les deux chercheuses mettent en avant le fait que la matrice laitière module la lipémie postprandiale et le métabolisme lipidique. En effet, dans une étude citée dans les deux conférences, il apparaît que la consommation de fromage Cheddar pendant une intervention de six semaines est associée à une réduction de la cholestérolémie (cholestérol total et LDL-cholestérol), comparativement à la consommation des mêmes composants (acides gras saturés, protéines, calcium) en dehors de la matrice fromagère.

Marie-Caroline Michalski souligne également le rôle potentiel des lipides polaires du lait. Ces lipides particuliers situés à la surface des gouttelettes de matière grasse laitière auraient des effets bénéfiques sur la cholestérolémie, et la β-oxydation des acides gras (études chez l’humain) ou encore sur le poids corporel et l’inflammation (études chez l’animal). Ces impacts bénéfiques pourraient être médiés par le microbiote intestinal.

Parmi les autres mécanismes expliquant les liens entre les produits laitiers (en particulier le fromage) et la santé cardiométabolique, Emma Feeney cite les rôles potentiels du calcium, ainsi que de la vitamine K. Cette dernière, particulièrement présente sous sa forme K2 dans les fromages fabriqués avec du lait entier, aurait une action inhibitrice de la calcification vasculaire.

Pour conclure, ces deux conférences rappellent qu’un aliment ne se résume pas à une somme de nutriments et que sa matrice joue un rôle important sur son devenir métabolique ainsi que sur ses effets en termes de santé.