AccueilBrèves scientifiquesAlimentsJFN 2023 -Alimentation durable et urgence climatique

JFN 2023 -Alimentation durable et urgence climatique

Brèves scientifiques
Publié le 21/01/2024
Publié le 21/01/2024
Temps de lecture : 11 minutes
Adobe

La thématique de l’alimentation durable a tenu une place importante aux Journées Francophones de Nutrition (JFN) 2023. Retour sur deux conférences examinant les implications de l’urgence climatique sur nos systèmes alimentaires et notre alimentation.

Alimentation durable et 6e rapport du GIEC

Depuis plus de 30 ans, le GIEC (Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat) évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes et ses impacts. La synthèse du 6e rapport d’évaluation du GIEC a été adoptée en mars 2023 avec les représentants des 195 pays membres du GIEC. Didier Remond (Clermont-Ferrand) en examine les possibles conséquences sur l’alimentation et la santé.

Le chercheur rappelle tout d’abord que le réchauffement de la planète devrait atteindre 1,5°C entre 2030 et 2052 s’il se poursuit au rythme actuel. Le rapport du GIEC insiste donc sur l’importance d’agir pour limiter au maximum ce réchauffement. Ce dernier a en effet des impacts importants sur les ressources alimentaires. Didier Remond cite en particulier :

  • la diminution de rendement des productions végétales ;
  • la diminution des terres cultivables ;
  • la hausse des pertes post-récolte (conservation, transport) ;
  • et la baisse de la qualité et de la disponibilité des denrées alimentaires.

Les conséquences sur la santé sont également nombreuses : hausse des toxi-infections alimentaires collectives, des maladies à transmission vectorielle, des infections respiratoires ou encore du risque de malnutrition.

Pour limiter le réchauffement à 1,5°C à la fin du siècle, il est important de réduire les émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) dans tous les secteurs d’activité, y compris les systèmes alimentaires. Selon le rapport du GIEC, il serait possible de réduire de l’ordre de 44 % la part des GES émis par les systèmes alimentaires, entre autres par la réduction de la consommation de produits animaux. Néanmoins, le rapport souligne l’importance de ne pas perdre de vue que cette réduction doit se faire dans le respect du cadre d’une alimentation saine et durable. Aussi, Didier Remond insiste sur le fait que la production des GES n’est qu’une partie de l’équation et que la suppression de l’élevage ne peut pas être la solution, sinon la sécurité alimentaire mondiale serait compromise.

Une des questions clés est donc la suivante : jusqu’à quel point peut-on réduire la consommation de protéines animales sans accroître le risque de carences pour les autres nutriments ? Les études basées sur des modélisations mathématiques à partir des consommations actuelles mettent en évidence que :

  • la couverture des besoins en vitamine B12, en iode, en calcium, en EPA-DHA et en fer biodisponible ne semble pas possible en dessous de 23 % de protéines animales ;
  • le pourcentage minimal de protéines animales permettant de couvrir l’ensemble des besoins nutritionnels dépendrait de l’âge et situerait plutôt entre 45 et 60 %.

Enfin, Didier Remond met en lumière trois conséquences néfastes des modèles alimentaires très végétalisés :

  • dans les modèles, la baisse de la consommation de viande rouge se fait souvent au profit de la viande de volaille, ce qui pose un problème majeur en termes de durabilité, car il s’agit d’une production des plus intensives ;
  • les modèles très végétalisés posent le problème de l’augmentation de l’utilisation de l’eau pour la production agricole ;
  • dans les modèles les plus végétaux, on observe une perte de biodiversité, essentiellement expliquée par la baisse de l’élevage bovin (notamment en zone de semi-montagne) et par l’augmentation de la production des fruits et légumes.

Pour conclure, au regard du 6e rapport du GIEC, réduire globalement notre consommation de produits animaux notamment pour les plus gros consommateurs est devenu une nécessité pour répondre à l’urgence climatique. Il est par contre indispensable de prendre en compte les effets en cascades liés à la réduction de la consommation de viande et de produits animaux : devenir tous végétariens ou végétaliens ne semble pas propice au maintien d’un système alimentaire sain et durable.

Peut-on réduire de 50 % la consommation de viande ?

Nicole Darmon (Montpellier) rappelle que la part des émissions de GES due au système agricole et alimentaire est de 34 % au niveau mondial et que l’engagement de la France est de réduire les émissions de GES de 46 % d’ici 2050. Par ailleurs, le taux de réduction de viande préconisé dans les pays occidentaux par de nombreux scénarios de mutation vers des systèmes agroalimentaires durables est de 50 %.

Aussi, Nicole Darmon présente les résultats d’une étude examinant la question suivante : est-ce possible de réduire de 50 % la consommation de viande des adultes en prenant comme point de départ la moyenne de la diète observée chez plus de 2 000 adultes, dans le cadre de l’enquête INCA 3 :

  • en satisfaisant les recommandations d’apports en nutriments pour l’adulte,
  • en respectant les recommandations actuelles du PNNS 4,
  • en réduisant l’impact carbone sans autres effets délétères sur l’environnement,
  • en s’écartant le moins possible des consommations actuelles observées,
  • et sans avoir recours à des produits enrichis ou à des supplémentations ?

Une optimisation mathématique sous contraintes a donc été réalisée dans l’objectif de dessiner une diète plus durable dans laquelle la consommation de viande serait divisée par deux. Les contraintes listées au paragraphe précédent ont donc été appliquées, dans l’objectif d’aboutir à une diète isoénergétique, la plus réaliste possible.

Au final, ce sont 17 modèles différents qui ont été créés avec des réductions variables d’impact carbone, allant de 25 à 50 %. Nicole Darmon présente dans le détail les caractéristiques de la diète qui a été considérée comme étant le « meilleur compromis », avec une baisse de 35 % de l’impact carbone, un écart moindre avec la diète observée et une moindre teneur en phytates :

  • 435 g de viande par semaine ;
  • 2 portions de poisson par semaine, dont 1 poisson gras ;
  • 3,5 œufs par semaine, dont une partie comme ingrédient ;
  • 3 produits laitiers par jour, dont une partie comme ingrédient ;
  • une petite portion de légumineuses (65 g/j) ;
  • deux poignées de fruits à coques  (soit 30 g/j) ;
  • remplacement presque total des produits céréaliers raffinés par des céréales complètes ou semi-complètes ;
  • 530 g de fruits et légumes par jour ;
  • < 100 g/j d’aliments sucrés/gras/salés ;

A noter que cette diète permettrait de réduire le budget alimentaire de près de 10 %, comparativement à la diète de départ observée. Pour conclure, cette étude théorique met en lumière le fait qu’en réduisant la viande de 50 % par rapport à la diète moyenne des adultes français et en végétalisant judicieusement, il semble possible de réduire l’impact carbone de 35 %, tout en atteignant l’adéquation nutritionnelle et sans avoir recours à des produits enrichis ou à des supplémentations. Nicole Darmon souligne aussi le fait que la consommation d’une seule portion quotidienne de viande, poisson ou œuf semble suffisante chez l’adulte dans une optique nutritionnelle et environnementale.