JFN 2023 - Modification des comportements alimentaires

Les Journées Francophones de Nutrition 2023 (JFN 2023) se sont déroulées du 6 au 8 décembre à Marseille et ont réuni plus de 2 500 experts et passionnés de la nutrition et de l’alimentation. Retour sur trois interventions explorant de façon théorique ou pratique les facteurs permettant de modifier favorablement les comportements alimentaires.

Des leviers différents en fonction de l’âge

Sophie Nicklaus (Dijon) présente les leviers spécifiques qui peuvent être utilisés aux différents stades de la vie pour faire changer les comportements alimentaires en direction des pratiques les plus favorables pour la santé. Elle centre son propos principalement sur la difficulté à promouvoir la consommation de légumes et de fruits, en raison de cinq freins majeurs : leur goût, leur faible densité énergétique, l’absence de marketing dirigé vers leur consommation, les tensions éducatives ou injonctions sociales qui focalisent sur les fruits et légumes et enfin ce qu’elle nomme la « compétition déloyale », dans l’assiette, des fruits et légumes face à des aliments plus appétents.

Les challenges à relever vis-à-vis des fruits et légumes évoluent tout au long de la vie :

pour les plus petits, il s’agit de découvrir les fruits et légumes ;
il faut ensuite apprendre à les mâcher et à les aimer ;
à l’âge scolaire, le défi est de maintenir la consommation de fruits et légumes dans une assiette compétitive et en étant particulièrement exposé au marketing alimentaire ;
chez les étudiants, la difficulté est plutôt de maintenir une consommation de fruits et légumes dans le budget, tout en quittant le foyer familial ;
le challenge principal à l’âge adulte est de restaurer la consommation de fruits et légumes, aussi pour donner l’exemple à la future génération ;
enfin, pour les seniors, Sophie Nicklaus insiste sur l’importance du maintien du pouvoir d’achat pour sécuriser la consommation.

La chercheuse présente ensuite les facteurs spécifiques favorisant une alimentation saine à tous les âges de la vie :

dans la petite enfance, elle insiste sur la fenêtre d’opportunité existant entre 4 et 24 mois pour l’introduction d’aliments avant la survenue de la néophobie alimentaire. Elle recommande en particulier :
- un allaitement au sein préalable à la diversification;
- l’introduction d’aliments de différentes saveurs entre 4 et 6 mois révolus ;
- l’introduction d’aliments de différentes textures entre 6 et 10 mois, en répétant les expositions ;
- l’application d’un « style de nourrissage » démocratique et réceptif. Il s’agit en particulier d’amener l’enfant à goûter, sans le forcer à manger et en le laissant décider des quantités consommées.
Quand l’enfant grandit, la disponibilité de l’aliment est le facteur qui favorise le plus la consommation de fruits et légumes.
Pour l’adolescence, période de complexification de l’environnement alimentaire, Sophie Nicklaus met en lumière le rôle primordial du développement de la littératie alimentaire en faisant un focus sur ses 3 dimensions :
- les compétences relationnelles (c’est-à-dire le lien avec l’environnement alimentaire : par exemple la familiarité avec une grande diversité d’aliments, le plaisir à consommer des aliments sains et durables ou encore la joie de partager des repas avec d’autres personnes),
- les compétences fonctionnelles (par exemple culinaires),
- et les compétences critiques (compétences cognitives qui permettent d’analyser de façon critique les aspects sociaux, économiques et environnementaux des systèmes alimentaires).
A l’âge adulte, de nombreuses politiques publiques peuvent influer sur les comportements alimentaires en jouant sur les capacités, les opportunités ou encore les motivations. Ces politiques publiques peuvent recourir par exemple aux nudges, c’est-à-dire des modifications subtiles de l’environnement, pour orienter les individus à faire « les bons choix ». Les nudges comportementaux (interventions qui cherchent à changer directement les comportements des individus, sans passer par l’influence sur leurs connaissances ou leurs émotions, telles que les interventions sur la taille des portions) semblent les plus efficaces, devant les nudges affectifs (étiquetage sensoriel), eux-mêmes devant les nudges cognitifs (étiquetage nutritionnel).
Chez les seniors, l’importance des trajectoires de vie est mise en avant : les changements de contextes, tels que la transition vers la retraite peuvent offrir des possibilités intéressantes d’intervention.

Pour conclure, Sophie Nicklaus rappelle la nécessité de rendre les changements de comportements alimentaires désirables par les consommateurs ; elle souligne ainsi l’importance du plaisir comme levier dans les interventions en santé publique, qu’il s’agisse du plaisir sensoriel, du plaisir interpersonnel ou encore du plaisir cognitif (il est possible par exemple de jouer, chez les enfants, sur les croyances ou les représentations cognitives des aliments pour favoriser leur consommation)

Cas pratique de nudging en restauration collective

Sandrine Raffin (Puteaux) présente ensuite un exemple pratique de mise en place d’une intervention de type « nudging » en restauration collective d’entreprise. Cette recherche-action s’inscrit dans la discipline du marketing social dont l’objectif est de développer et d’intégrer les concepts du marketing avec d’autres approches, pour influencer les comportements des individus et des communautés dans le but d’accroître leur bien-être tout comme celui de la société.

Sandrine Raffin rappelle tout d’abord quelques éléments théoriques sur les 4 différentes façons d’influer sur les comportements, par :

l’information (publicité, communication, pédagogie, éducation) ;
la contrainte (lois, décrets, interdictions, sanctions) ;
la récompense (promotions, récompenses, déductions d’impôts) ;
et enfin le nudge qui est une incitation douce ou « coup de pouce » donné à un individu ou consommateur pour modifier son comportement, par des actions sur l’architecture ou le contexte de la prise de décision.

L’objectif de la recherche-action présentée consiste à promouvoir la consommation d’une offre innovante de plats « bas carbone » déjà existante au sein des restaurants participants. La démarche a été la suivante :

Observations dans les restaurants participants et workshops avec tous les intervenants du lieu ;
Cette première étape d’immersion a abouti à la décision de :
a. Renommer la démarche (les plats « BIEN BON ») et de lui donner une identité visuelle propre avec création d’un logo. L’objectif était d’associer la promesse du goût à celle de l’impact limité sur le climat et sur la planète.

b. Créer un plan et des outils de communication à destination des convives, mais aussi à destination du personnel. Il s’agissait en particulier d’arriver à ce que l’ensemble du personnel soit capable de parler de l’offre « BIEN BON » aux convives et que chaque membre ait goûté les plats.
Il a aussi été décidé de ne pas réduire l’offre « bas carbone » aux plats 100 % végétaux pour éviter un possible phénomène de rejet à l’injonction du végétarisme et afin de favoriser la démarche pas à pas qui est un levier important dans le changement des comportements.

Les résultats préliminaires présentés par Sandrine Raffin montrent une évolution plutôt positive de la démarche grâce aux actions menées. Elle met en avant en particulier des hausses du taux de prise des plats BIEN BON et une augmentation du nombre de ces plats achetés quotidiennement au sein de deux restaurants collectifs de 500 et de 200 couverts.

En conclusion, Sandrine Raffin souligne le fait que la pédagogie est utile pour changer les comportements alimentaires, mais qu’elle n’est pas suffisante. Par ailleurs, elle insiste sur le fait que mesurer l’impact réel d’interventions de nudging prend beaucoup de temps, car il ne s’agit pas seulement de mesurer les effets sur les comportements, mais aussi ceux, à plus long terme, sur les représentations.

L’alimentation consciente : un pas vers une diète de meilleure qualité

La pleine conscience consiste à porter intentionnellement son attention sur le moment présent, de façon consciente et sans jugement. Il s’agit d’un concept global qui peut s’appliquer en particulier à l’alimentation. L’alimentation consciente consiste donc à porter son attention sur l’expérience alimentaire, avec tous ses sens et sans jugement.

Pauline Paolassini Guesnier (Bobigny) présente les résultats d’une étude transversale visant à examiner les liens entre l’alimentation consciente et les consommations alimentaires. Les données de plus de 2 000 adultes issus de la cohorte Nutrinet-Santé ont été utilisées ; le questionnaire MIND-Eat Scale a permis de mesurer le niveau d’alimentation consciente de chaque participant à travers 6 dimensions (24 affirmations à coter sur une échelle de Likert) :

la non-réactivité (ex. : quand je vois des aliments que j’aime, j’ai du mal à m’empêcher de les manger) ;
la gratitude (ex. : j’éprouve de la gratitude pour les personnes qui ont préparé la nourriture que je mange) ;
le non-jugement (ex. : je m’en veux quand je sens que j’ai trop mangé) ;
l’attention (ex. : quand je mange, je prends le temps de savourer les aliments) ;
la faim/satiété (ex. : je fais confiance à mon corps pour savoir quelle quantité manger) ;
l’ouverture (ex. : je goûte de nouveaux aliments, même si j’ai un a priori négatif).

Les personnes qui ont des niveaux plus élevés d’alimentation consciente présentent également :

une meilleure qualité de l’alimentation ;
un apport énergétique moindre ;
une consommation diminuée d’aliments ultra-transformés (Nova 4) ;
une consommation augmentée de légumes, de matières grasses, de graines oléagineuses et de céréales complètes et une consommation diminuée de viande et de charcuterie ;
une part plus élevée d’aliments végétaux dans leur régime, avec plus d’aliments végétaux qualifiés de sains et moins d’aliments végétaux à limiter (tels que les chips) ;
une part plus importante d’aliments « bio » dans leur alimentation.

Pauline Paolassini Guesnier suggère, pour conclure, que le lien entre l’alimentation consciente et la qualité de l’alimentation pourrait s’expliquer par des quantités consommées moins grandes, par une moindre alimentation émotionnelle, par une sensibilité plus basse aux stimuli extérieurs, par moins de culpabilité après avoir mangé ou encore par une durée augmentée de la prise alimentaire. Le lien entre l’alimentation consciente et l’alimentation bio ou végétale pourrait s’expliquer, quant à lui, par une plus grande préoccupation pour l’environnement ou encore par davantage de gratitude pour les éléments qui procurent la nourriture consommée.