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Camille Adamiec, sociologue, nous parle de l’obsession des régimes “sans”

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Publié le 27/01/2016
Modifié le 04/06/2021
Modifié le 04/06/2021
Temps de lecture : 6 minutes

Invitée du Nutri-doc n°118, Camille Adamiec, sociologue spécialiste de l’orthorexie (université de Strasbourg), analyse les motivations des consommateurs qui écartent des aliments de leur assiette et fait le point sur la mode des régimes “sans”.

Comment expliquez-vous la montée en puissance ces dernières années des régimes « sans » dans nos sociétés contemporaines ?

Camille Adamiec : Ils éclairent et confirment une tendance sociétale au « manger droit » appelée aussi « orthorexie ». Cette tendance est si importante que les sociologues parlent aujourd’hui de « société orthorexique ». Soulignons que ce phénomène autour de l’alimentation s’accorde avec d’autres processus à l’œuvre dans les sociétés occidentales, comme l’individualisme et la quête incessante d’une santé parfaite. Par ailleurs, face à l’innovation incessante des industries alimentaires, et des messages d’experts contradictoires en matière de nutrition, il est difficile pour les individus de faire le tri dans la multiplicité des informations disponibles afin de choisir en toute confiance. C’est dans ce contexte d’inquiétude, d’une nécessité grandissante de maîtrise et de contrôle des aliments qui communient avec le corps, et d’une recherche de santé parfaite que les régimes « sans » ont fait leur apparition.

Quelles sont les motivations des mangeurs qui suivent des régimes « sans » ?

Les régimes « sans » peuvent apparaître aux individus comme un moyen de se fixer des règles et de structurer leur alimentation à partir d’une catégorisation rigide des aliments sains/malsains. Ainsi le gluten, la viande ou les produits laitiers deviennent des sortes de boucs émissaires. Ils catalysent les peurs face aux dangers. Le but est de parvenir à une santé meilleure et ainsi d’accéder au bien-être (en réduisant les risques de maladie supposés survenir à la suite de l’ingestion d’aliments malsains). L’idée est ainsi de tendre vers un devenir plus sain, ce qui n’empêche pas pour autant les mangeurs d’être sujet à la culpabilité, un sentiment très présent dans nos sociétés occidentales, en lien avec notre civilisation judéo-chré- tienne. Pourtant, il convient de noter qu’il n’y a pas d’interdit alimentaire dans les religions chrétiennes.

Les mangeurs « sans » ne cherchent-ils pas à se démarquer ?

Absolument. Les industriels qui vendent des produits sans gluten en France ont joué la carte des « alimentations particulières » pour faire du régime sans gluten un moyen comme un autre de se forger une identité alimentaire « stable ». Ne pas manger de gluten signifie ne pas manger comme les autres mais signifie aussi manger des produits spécifiques. Être sans gluten devient aussi constructif pour l’identité des mangeurs que se dire végétarien, ou végétalien. Comme d’autres convictions (politiques, etc.), la santé et sa préservation deviennent des valeurs sur lesquelles les individus se positionnent.

Comment expliquez-vous que certaines personnes suivent un régime sans gluten sans être pour autant atteintes de la maladie cœliaque ?

Certes, la mise au régime engendre des inconvénients : elle limite les choix, complique les situations d’interactions sociales (restaurant, cantine, etc.), oblige à une gestion du temps plus compliquée (prévoir sur le long terme les prises alimentaires), oblige à acheter des produits spécifiques dans des magasins spé- cialisés. Mais ces inconvénients sont autant de bénéfices et de jalons pour les mangeurs qui cherchent à donner du sens à leur vie. Exemple, l’un des effets pervers de l’abondance, c’est l’incapacité pour l’individu à choisir face à la multiplicité. Lorsqu’on suit un régime, les choix sont limités. L’intolérance supposée du corps se fait guide dans une société qui prône la responsabilisation et l’intellectualisation des conduites, ce qui provoque aussi une certaine fatigue de la responsabilisation chez les individus. Dans ce contexte, suivre un régime se présente comme salvateur pour l’individu inquiet et incertain.

* Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids.

Pour en savoir plus À paraître en février 2016 : Camille Adamiec. Devenir sain. Des morales alimentaires aux écologies de soi, Coll. Table des Hommes, Presses Universitaires de Tours- Presses Universitaires de Rennes.